Écoeurement...
Comme toujours après une bataille…
Intestins qui se vident en longs spasmes douloureux....
Son épée lui était à présent insupportable, poisseuse de sueur et de sang, ignoble morceau d'acier pendouillant tristement au bout de son bras fatigué.
Son corps, son cœur n'étaient plus que lassitude.
Elle leva les yeux, mais une autre bataille se déroulait dans le ciel : des cohortes affamées de fossoyeurs ailés, corbeaux, condors, buses et busards, se disputaient à coups de bec et de cris un butin bien trop vaste pour eux…
Elle secoua tristement la tête, ôta son pesant casque de bataille, un heaume étouffant mais redoutable garnit d'une collerette de pointes d'acier, et se pencha pour ramasser un morceau de son bouclier : la bataille avec les barbares Worch avait été rude, et son bouclier de bois ancien, qui avait fidèlement protégé la soldate durant ses multiples campagnes, n'avait pas résisté aux fracas des masses de bronze.
La marche jusqu'au camp serait longue, et difficile avec l'estafilade qu'elle avait reçue à la cuisse. Elle pensa un instant appeler à l'aide un des soldats qui passaient près d'elle, mais renonça. Nulle main secourable n'était à attendre, les instants qui suivent la bataille se doivent d'être solitaires…
Elle eu une pensée furtive pour son compagnon. Avait-il survécu? Serait-il là, à l'attendre au campement?
La soldate ne sentit la tension du combat redescendre qu'au moment où elle pénétra dans l'enceinte intérieure du campement de base du prince consort Kaïa. Le fanion aux lions, emblème depuis toujours de la maison royale, flottait doucement au dessus de la tente de commandement. Un flot discontinu de guerriers fatigués y entraient faire leur rapport, ou en ressortaient, l'air sombre…La soldate devina alors que la Grande Bataille, la bataille décisive qui devait leur assurer le passage jusqu'au cœur de l'empire du nord, n'était pas encore celle-ci…d'autres batailles étaient encore à venir, hélas…
Un soulagement immense l'envahit lorsqu'elle pénétra dans la petite tente qu'elle partageait avec son compagnon. Il s'étendirent ensemble sur la paillasse réglementaire, dure malgré leurs manteaux étendus par-dessus, et écoutèrent les bruits du campement qui se préparait doucement pour la nuit : le crépitement du feu de camps sur lequel bouillait toujours une bacholle de bouillon, les murmures des conversations, parfois coupés par les exclamations d'un joueur de dés malchanceux…mais aussi, souvent, la longue plainte d'un blessé, ou le raclement des pelles sur la roche: il n'y avait plus de terre pour recouvrir les morts…
La soldate écouta un instant la respiration régulière et profonde de son compagnon endormi, puis se dégagea doucement de son étreinte.
Cette nuit, comme toutes les nuits depuis le début de la campagne de conquête du Prince, elle ne trouverait pas le sommeil. Sa cuisse la tourmentait mais son esprit était plus troublé encore.
Elle tira de son coffre de voyage un petit carnet relié en peau de gazelle noire, et s'installa non loin de la lumière tremblotante d'une lampe tempête.
Elle caressa avec un sourire le grain fin et soyeux du cuir souple, ouvrit le cahier déjà partiellement recouvert d'une petite écriture fine et serrée, tourna entre ses doigts le fin tube fuselé de sa plume, et soudain, le monde réel disparu, emportant avec lui souillure et violence !
La soldate écrivait…